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Tunu
2008
: une exploration de la côte
nord-est du Groenland |
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Textes
et
photos de Pascal Hémon et
Dominique Simonneau |
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A
la poursuite du macareux moine
Voilier Mio Palmo, 18 juillet
2008. Île de Grimsey, Nord
Islande, escale sur la route
vers la côte Nord-Est du
Groenland. |
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Accroché au
bord de la falaise basaltique
dominant la mer, Ragnar manoeuvre
l'épuisette avec habileté.
Derrière lui sur l'herbe verte,
son frère Sigurdur attend
patiemment. Soudain la longue
épuisette s'agite dans un large
mouvement d'avant en arrière, un
macareux moine se prend dans le
filet. Sigurdur récupère le petit
alcidé et le pose avec les prises
précédentes.
Nous sommes à Grimsey, une petite
île islandaise traversée par le
cercle polaire. Les oiseaux de mer
trouvent ici un petit paradis.
Sous les cris stridents des
sternes arctiques, pétrels fulmar
et pingouins torda cohabitent avec
les eiders et les guillemots de
Brünnich. Mais le plus célèbre
habitant est le macareux moine,
avec son joli regard nostalgique
de clown triste et son bec orangé.
Nichant tel un lapin dans des
terriers creusés au bord des
falaises, des dizaines de milliers
d'individus regardent l'océan,
sentinelles de l'île plongeant
pour nourrir leurs petits,
remontant à chaque fois plusieurs
alevins alignés dans leur bec.
Depuis toujours, la petite
centaine d'habitants pratique un
mois durant la chasse
traditionnelle à l'épuisette,
prélevant une consommation
familiale. Depuis deux ans,
certains vendent leur produit aux
restaurants chics de Reykjavik, et
à 300 couronnes l'animal, le
revenu annuel avoisine les 10000
euros. Un bon complément pour
cette population de pêcheurs à la
morue frappée de plein fouet par
la montée du prix du gazoil. |
Mais
où donc est passé le Mont Rigny
?
Voilier Mio Palmo, 27
juillet 2008. Au large de la
côte de Blosseville, Nord-est du
Groenland, par 68°11'N, 24°51'W. |
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Les yeux rivés
aux jumelles, je m'acharne à
trouver ce Mont sois-disant
remarquable. Impossible de me
décider entre ce sommet pyramidal
ou bien cet autre massif enneigé.
Le temps est remarquablement clair
et Mio Palmo taille sa route vers
la côte de Blosseville, qui se
faisait désirer depuis plus d'une
semaine, entre coups de vent dans
le détroit du Danemark et glaces
résiduelles qui fermaient l'accès
au Groenland. Une journée propice
aux observations de la côte: le
compas à bout de bras, j'annonce
les relèvements des deux monts, et
Pascal note les points au GPS.
Mio Palmo est tout proche du point
où, sur le pont du brick La
Lilloise, Jules Poret de
Blosseville releva le premier
cette côte encore inconnue. Comme
le voulait l'usage, le marin
français nomme les points
remarquables du nom de vénérables
personnalités. Et c'est ainsi
qu'il nomma Mont Rigny un sommet
qui lui sembla particulièrement
élevé, du nom de l'amiral ministre
de la marine de l'époque. Jules
Poret de Blosseville ne pût aller
plus avant, bloqué par une
barrière de glaces impénétrables.
Nous étions le 27 juillet 1833, il
y a 175 ans jour pour jour. La
Lilloise ne revint jamais de ce
voyage. Et depuis, la position du
Mont Rigny sur les cartes se
promène au gré des nouvelles
mesures cartographiques savantes,
sans qu'aucune ne corresponde avec
certitude au sommet observé par
notre compatriote oublié. Nos
modestes relèvements lèveront-ils
le mystère ? |
Territoire
sans
homme
Voilier Mio Palmo, 28
juillet 2008. Baie Barclay, Côte
de Blosseville, Nord-Est du
Groenland, 69°15'46''N,
24°46'25''W. |
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Imaginez un
monde de falaises basaltiques,
d'éboulis, de glaciers sculptant
des moraines gigantesques, vêlant
des montagnes de glace dans
l'océan; un monde minéral, glacé,
un monde de silence seulement
troublé par les vents et l'eau des
torrents de fonte. Imaginez un
monde comme à l'aube de la vie sur
terre. Et pourtant, en regardant
de plus près, dans quelques rares
oasis abritées, la vie végétale
expose sa splendeur, aussi
longtemps que durera le court été
arctique.
Ici la vie s'accroche où elle
peut, comme elle peut, mais
s'accroche. Lichen, saxifrages,
épilobes, mousses, saules
arctiques courant au sol se
regroupent à l'abri d'un rocher,
alimenté par un filet d'eau
descendant des névés. Respectueux
devant ce miracle de résistance et
d'adaptation, nous évitons
soigneusement, de poser un pied
dans ces micro-écosystèmes.
L'homme est resté et reste
normalement absent de cette côte
de Blosseville. Même les
paléoesquimaux, ancêtres des inuit
actuels n'ont fait que passer,
sans rester. Seuls les bois
flottés et les rares débris sur
les plages de galets rappellent
que quelque part, loin, très loin,
il existe une civilisation
humaine.
Nanoq l'ours blanc, le seigneur de
l'arctique en est tout étonné de
nous voir. D'abord curieux, il
s'enfuit rapidement en quête d'un
gibier plus habituel, sûrement
plus effrayé que nous qui restons
ravis de la rencontre. L'équipage
de Mio Palmo gardera à jamais le
souvenir de ce court passage sur
cette côte désolée qui s'était
fait si longuement attendre.
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Sous
le règne du corbeau
Voilier Mio Palmo, 5 août
2008. Au large de la côte
Nord-Est du Groenland, 69°52'N,
22°07'W. |
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On
raconte
que tout au début régnait la nuit.
Le petit renard qui aimait chasser
dans le noir prononçait le mot
puissant «Taaq! obscurité,
obscurité!» Mais le corbeau lui ne
marche pas et il se cognait
souvent sur les montagnes en
volant. Il finit par se mettre en
colère, et alors il apprit un mot
aussi puissant «Qau ! lumière,
lumière!». Le renard répliqua :
«Taaq ! obscurité, obscurité!» Le
corbeau : «Qau ! lumière,
lumière!» La lumière se fit, et le
jour se sépara de la nuit. Et
ainsi, depuis ce temps, il fait
jour et il fait nuit.
C'est en ayant en tête cette
vieille légende inuit que nous
approchons de nouveau la côte
Nord-Est du Groenland. En ce
moment, c'est le règne du corbeau.
La lumière envahit tout, tout le
temps. Nous naviguons parmi les
icebergs majestueux qui
s'agglutinent au gré des courants
marins. Parfois la brume tombe,
dense, étouffant les sons. Nous
scrutons la surface de l'eau, à la
recherche du prochain iceberg,
apparition fantomatique aux
contours flous. Avec le brouillard
la lumière gris-perle reste
puissante. On la devine toujours
prête à déverser ses rayons.
Lorsque la brume se dissipe, alors
les montagnes de glace
étincellent, grondent sous les
assauts combinés du soleil et de
l'eau. Les rayons lumineux nous
transpercent comme des aiguilles.
Sous ce véritable bombardement
lumineux, un iceberg bleu azur se
retourne lentement, explose en
millier de glaçons qui crépitent
comme du bois sec qui s'enflamme.
Nous sommes bien, sous le règne du
corbeau. |
L'artiste
arctique
Voilier Mio Palmo, 12 août
2008. La côte Nord-Est du
Groenland, 71°39'N, 22°15'W. |
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Selon
certains
racontars, la côte Nord-Est
produit des effets bien
particuliers sur les Hommes. Il
faut dire que la nature leur offre
tout ce qu'il faut de spectacles,
tous plus féeriques les uns que
les autres. L'aspect désolé des
grandes plaines de galets,
silencieuses, comme figées pour
l'éternité contraste étonnamment
avec l'océan où les plaques de
banquise disloquée évoluent
rapidement avec les marées et la
houle. A la longue l'homme
s'imprègne de cet environnement et
se dote d'une vision presque
extra-lucide. Un simple galet
devient bien plus qu'un caillou :
ici c'est un ours, là-bas un homme
avec un chapeau, une plaque de
neige se transforme en tête de
chèvre, et un iceberg en vacherin
à la crème. Ces symptômes banals
peuvent s'aggraver et produire des
conséquences fâcheuses. On raconte
d'ailleurs (1) qu'au cours d'une
crise paroxystique, un chasseur de
la région aurait ainsi confondu
son compagnon de station avec le
cochon qu'il devait manger pour
Noël.
Mais l'artiste, lui, voit plus
loin, au delà de l'apparence
naturelle. Et il agit sur
l'environnement. En déplaçant un
caillou, par exemple. Alors un
tronc de bois flotté, auparavant
inerte, prend vie, devient un
homme couché. En recomposant
différemment un galet éclaté par
le gel une sculpture naît soudain,
oeuvre éphémère sous le ciel
groenlandais. Clins d'oeil
poétiques qu'Alain Bresson nous
offre ainsi au long des mouillages
dans les sublimes fjords du
Nord-Est. Tout en poursuivant son
oeuvre sur les poissons, mais là,
la démarche est autrement plus
périlleuse.
(1)
Lire
Les Racontars Arctiques, de Jorn
Riel |
Crêpes
de
glace
Voilier Mio Palmo, 15 août
2008. La côte Nord-Est du
Groenland, 70°28'N, 21°54'W. |
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Glace
de
terre et glace de mer, iceberg et
banquise : au Groenland, et
globalement en Arctique, la glace
est omniprésente. Et multiple. En
France nous connaissons le givre
sur la route, synonyme de
difficultés de circulation ou bien
le glaçon dans le verre fleurant
bon les vacances d'été. Mais en ce
vendredi 15 août, c'est la glace
de mer qui nous préoccupe. Les
blocs de banquise récemment
disloquée restent un danger
constant pour la navigation et au
mouillage. Ras sur l'eau, la glace
de mer est traîtresse : avec leur
bras tentaculaires sous la ligne
de flottaison, les plaques ne
demandent qu'à venir briser un
safran ou fausser l'hélice. Ancrés
au fond d'une baie, apparemment à
l'abri, nous devons repousser
leurs assauts réguliers à l'aide
de grandes lances, véritables
tournois médiévaux rythmés par les
courants de marée. Souvent le
cheminement des grands blocs a
quelque chose d'inéluctable,
rapport de masse oblige, et nos
efforts consistent à battre en
retraite en déplaçant le voilier
plutôt que d'affronter un
mastodonte.
Cette année est une année à glace,
nous avait on prévenu au village
d'Ittoqqortoormiit. Avec raison.
La banquise de l'an dernier est à
peine disloquée que déjà en cette
mi-août les signes précurseurs du
prochain hiver se font sentir. Au
petit matin dans la baie Amdrups,
nous découvrons à la surface de
l'eau azur une myriade de crêpes
scintillantes, de fines plaques de
glace transparente préfigurant la
banquise naissante. Signes que le
temps du retour est venu... |
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