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Dominique Simonneau et Pascal Hémon, 26 mai au 3 juin 2005VersionPDF
   

Emblème d'Ittoqqortoormiit
Jeudi 26 Mai, à Ittoqqortoormiit, 70°30 Nord, côte Est du Groenland
Nous y sommes. Skis, pulka, tente, fusil historique estampillé 1917, bottes Sorel et équipement personnel, carte au 1 :250 000 de l’entrée du Scoresby Sund, Iridium et balise Sarsat : nous sommes prêts pour une virée de 5 jours sur la côte Est de la Terre de Liverpool.
Il fait doux, un peu trop, températures légèrement positives: la banquise présente déjà de belles flaques bleu acier, signe de remontée d’eau de mer en surface. Le Cap Tobin, qui marque l’entrée Nord du Scoresby est déjà presque libre de glace. Sur les conseils de Jan le groenlandais, nous allons emprunter le chemin des chasseurs du village. La météo est au grand beau, soleil, vent faible, neige agréable. 


Après 4 heures de grimpette, Pascal identifie le bivouac idéal. Terrassement, tente montée, réchaud allumé et bientôt la neige est prête pour une bonne soupe.
Le panorama est superbe, nous surplombons le Cap Swainson, la mer du Groenland, derrière nous le dôme lisse du glacier, et nous dominons toute l’entrée du Scoresby.Deux jeunes chasseurs, presque des adolescents, viennent nous rendre visite puis reprennent leur traîneaux vers la chasse au phoque au cap Höegh. Nous philosophons sur cette jeune génération qui perpétue la chasse des anciens avec un visible bonheur.



Vendredi 27 Mai
Départ vers midi, après un lever vers 9h et le pliage du bivouac. Toujours grand beau temps, et nous continuons notre route le long du glacier, Pascal tirant la pulka de 60kg, et moi essayant de suivre son rythme dans ses traces: un équipage tout à fait équilibré, somme toute !
L’altimètre nous indique 505 m au petit col. Devant nous, la banquise, et bien visible l’île Agpalik (Raffles) plantée sur la glace. La descente du glacier sera plus délicate que prévue : neige mouillée, rivières, pente forte : nous nous décidons à déchausser.

Enfin vers 17 heures, grand moment, émotion et adrénaline : nous glissons sur la banquise. De légères nappes de brume, très basses, soulignent les montagnes de la terre de Liverpool, comme pour mieux nous faire goûter aux joies du soleil. Nous mettons cap sur l’île Agpalik qui marque l’entrée Sud du Lillefjord. La pointe sud-ouest de l’île présente un versant abrité et une petite ligne de galets qui retient une terrasse de neige. Le bivouac idéal, à 12 km du précédent.
Le rituel s’installe : on tasse la neige, on monte la tente, on allume le réchaud, on fait fondre la neige pour la soupe, on installe le fusil à portée de main, on se régale de purée en admirant les icebergs plantés dans la banquise et le panorama qui prend des teintes dorées lorsque la course du soleil s’infléchit légèrement vers l’horizon Nord. Deux oies nous survolent en gloussant.
Rencontre du soir : deux traîneaux de chasseurs font un long détour pour venir nous saluer. Eux aussi vont chasser au Cap Höegh. En arrivant les chiens font un sacré charivari et nous sauvons de justesse le linge qui sèche, le pain, les trousses de toilette. Il en résultera un beau scoubidou dans leurs longes.


Samedi 28 Mai
Nous mettons cap sur la pointe Sud de l’entrée du Lillefjord, où nous devrions trouver une hutte de chasse. Nous quittons les traces des chasseurs qui continuent vers le Cap Höegh. La neige est lourde et Pascal peine à faire la trace, alors que je suis tranquillement dans le passage de la pulka. Petite pause rapide, face au front immense du glacier Äge Nielsens qui semble tout proche. Un coup d’œil sur la carte nous montre que le front est en fait à une bonne dizaine de km ! La visibilité et la luminosité sont telles que nous avons bien du mal à évaluer les distances.
Nous tournons un premier cap et le toit pentu de la cabane est en vue. Pascal nous évite quelques baignoires à l’arrivée. Nous prenons possession de la hutte, toute petite mais magnifiquement située sur une hauteur. Grandiose vue sur le Lillefjord.

Dimanche 29 Mai
Ce matin, petit déjeuner roboratif, car nous nous apprêtons à relier le Cap Höegh en une étape, soit une bonne quinzaine de km. Quelques nappes de brume basses ponctuent ce début de journée, mais le soleil est toujours au rendez-vous. Nous évitons les flaques de gros sel, route au GPS, cap à 30°.
Nous avons aperçu notre premier phoque, qui bien sûr a plongé dans son trou alors que nous étions encore à bonne distance. Malin, l’animal. A cette allure et avec une belle neige, nous devrions atteindre notre but aujourd’hui.
Parfois la brume revient, léger voile de coton et alors tout devient irréel et nous sommes au milieu d’un nulle part tout blanc. Nous ne donnerions pas notre place pour tout l’or du monde. Croisé à nouveau deux phoques, puis un groupe de 3 ou 4 un peu plus loin. Nous retrouvons des traces de traîneaux, la brume se déchire et nous voyons l’isthme à l’ouest du Cap Höegh, puis les deux cabanes.Ce sont trois traîneaux, 6 chasseurs et beaucoup de chiens qui nous accueillent. Nous décidons d’aller planter notre bivouac sur la neige : on se gênera moins car l’espace reste compté pour allonger huit matelas et duvets.


La soirée avec les chasseurs est bien sympathique. Nos compagnons nous montrent la technique de chasse au phoque, caché derrière un écran blanc fendu pour ne laisser passer que le canon du fusil : rien n’a changé, on se retrouve dans « Boréal et Banquise » de PEV.
Ils nous expliqueront aussi que dans les années 80 la cabane était occupée par une famille de chasseurs, d’août à décembre : les petits livres de classe et le cahier de dessins témoignent que les parents veillaient eux-mêmes à la scolarité de leurs enfants.
Nourrir les chiens est assez sportif : découper des lanières de viande de phoque, les jeter à la volée aux chiens affamés, essayer de calmer les bagarres sauvages…Même leurs maîtres ne se risquent pas à y mettre la main !

Certains partent à la chasse aux mergules. En arrivant nous avions cru entendre le blizzard souffler sur la crête, jusqu’à ce que nous apercevions la nuée de mergules nains tournoyant en essaim le long de la falaise. Leurs ancêtres les chassaient à l’épuisette mais aujourd’hui les Groenlandais les tirent à la carabine à petits plombs.
La veillée s’anime dans le joyeux capharnaüm de la cabane et il sera 1h30 du matin lorsque nous rejoignons notre campement. Il faut dire qu’avec ce grand beau soleil qui s’entête à briller toute la « nuit », la tentation est grande de prolonger les soirées.
Lundi 30 Mai
Il fait si beau au réveil que nous décidons d’une journée de ballade autour de la presqu’île du Cap Höegh. Le premier repas est pris avec les chasseurs, puis c’est leur départ dans une joyeuse excitation ; les chiens sont déchaînés, les traîneaux chargés de sacs de mergules, sacs à dos, fusils, vaisselle et réchauds, le tout protégé par une épaisse peau de bœuf musqué. Le départ rapide. Les cris des chasseurs se répercutent en échos sur la falaise : un « yaw-yaw » grave pour aller à gauche, un « yiliili » suraigu pour aller à droite.


Nous nous installons confortablement dans la cabane : un peu de rangement, et nous voilà dans un « home, sweet home ». Nous partons pour une ballade sur le promontoire, et on en profite pour faire une séance d’entraînement de tir avec notre vielle pétoire 1917 avec ma foi un certain succès.
De retour, je fais un petit galop d’entraînement avec la pulka…chargée par Pascal lui-même qui se laisse traîner comme un sultan. Hé bien, je ne serais pas allée bien loin avec une telle charge. Nous concluons cette journée par un dîner aux chandelles dont le menu orne désormais les murs de la cabane. Vous pouvez aller vérifier.
Vers 21h, nos deux traîneaux arrivent : l’un conduit par Simon, géant danois tête nue et cheveux ras, sans gant; l’autre par Isaac, Groenlandais petit, sec, édenté et ridé, les yeux malicieux derrière des lunettes de myope qui le font ressembler à cette photo ancienne des derniers rois de Thulé.

Mardi 31 Mai
Vers 5 heures du matin, nous entendons Isaac se lever et lorsque les trois « blancs » émergent du duvet, on ne le trouve pas : il reviendra un peu plus tard, avec une belle soixantaine de mergules : il avait dû les entendre revenir pendant « la nuit ».
Nous chargeons tout notre matériel sur les traîneaux . Pascal part sur le traîneau de Simon, et moi je montre une petite préférence pour la compagnie d’Isaac. Tout au long de la journée, je serais « bluffée » par la maîtrise et l’aisance d’Isaac avec son attelage. Les ordres sont brefs, quelquefois un geste du bras suffit, les claquements de fouet d’une redoutable précision, et Isaac reste la plupart du temps assis sur le traîneau, et de temps à autre se roule une cigarette dans un paquet de tabac brun.
Les débuts sont épiques : en bas de la descente, notre traîneau s’enfonce dans un trou d’eau et bascule à moitié. J’apprends le dur métier de soulager le traîneau, courir à ses côtés et remonter au vol à temps avant de se laisser distancer…et moi qui croyais à une promenade de santé bien enveloppée dans une chaude fourrure !


Une petite pause toute les 2 heures, un mug de thé brûlant, une barre de chocolat, et pour nos guides une séance de démêlage du scoubidou formé par les longes des chiens qui passent leur temps à se croiser, décroiser, recroiser. Un vieux chien nous accompagne, en trottinant à côté des attelages : on dirait dans la brume un vieux loup solitaire.
Une surprise de taille nous attend lorsque nous atteignons la mi-pente du glacier Apuseq : la débâcle a eu lieu, il aura suffi d’un coup de vent chaud pendant la nuit dernière. Nous verrons un peu plus loin que le cap Swanson et le cap Tobin sont également libres de glace. Près de 8 heures après notre départ, nous sommes de retour à Ittoqqortoormiit.

Mercredi 1er Juin
Journée de repos bien méritée. Aujourd’hui, programme culturel : nous visitons le petit musée qui reconstitue l’intérieur de la cabane de la vieille Eleonora dans les années soixante, et qui présente un fond photographique intéressant de la création d’ Ittoqqortoormiit en 1925-1927 par relocation de 70 colons venant d’Ammassalik, transférés ici à bord du Gustav Holm sous la conduite de Ejnar Mikkelsen.
Nous rendons hommage à JB Charcot et à l’équipage du Pourquoi-pas ? devant la plaque commémorative -en français- apposée sur une stèle dans le haut du village. Nous entrons dans un des plus grands bâtiments du village, avec le centre sportif : l’école grande et pimpante accueille 150 enfants et jeunes. Dans le hall d’entrée, les 5 postes d’ordinateurs sont occupés : Internet n’est pas un luxe lorsqu’on est à ce point éloigné du monde.
Nous aurions aimé visité l’église, un des premiers bâtiments construits par les colons : hélas celle-ci est fermée, le pasteur ayant été démis de ses fonctions. Encore un peu plus saoul qu’à l’accoutumée, il avait fini un certain dimanche par confirmer un marié et marier un confirmé… Petite chronique de village.

Jeudi 2 Juin
Journée de chasse ! En milieu de matinée, nous rejoignons Ogh, un tout jeune chasseur. Sur son traîneau, un petit canot jaune canari, plus petit qu’un optimist : voici qui en dit long sur l’état humide de la banquise .
Parfois, Ogh arrête le traîneau, se met debout, scrute aux jumelles les phoques que nous voyons se chauffer au soleil près de leurs trous d’eau, et décide sur lequel faire route. Puis il enfile une combinaison blanche en intissé, cache ses cheveux noirs dans la capuche, et s’éloigne seul dans cet univers blanc. Il dissimule le fusil dans son dos et contourne l’animal. Arrivé à distance il se couche, appuie son fusil sur un petit pied en bois. Il restera bredouille toute la journée, soit que le phoque replonge, soit que le tir soit mal ajusté.
En arrivant vers le cap Hope, deux traîneaux arrivent plus près de la côte et nous font signe. Ogh les rejoint, il semble qu’on ne puisse plus passer au large, ce qui oblige à traverser une langue de terre caillouteuse. On laisse repartir les petits vieux dans leurs traîneaux, qui selon l’usage, hélas, laissent en dépôt canette de bière et sac plastique, et on en profite pour faire un petit casse-croûte. On devient d’un coup très nostalgique d’une bonne boîte de pâté Hénaff…
Au retour, nous attaquons un champ de hummocks, ce qui est assez comique avec le canot qui menace sans cesse de rester planté dans la glace ! Nous aurions aimé voir la fin du cycle : la prise, le dépeçage, avec en prime la fierté du chasseur ; mais cette journée aura été riche de sensations.

Vendredi 3 Juin
Dernière journée au Scoresby, et pour la première fois nous avons une brume épaisse et grise qui refroidit sérieusement et donne l’impression d’une semi-obscurité après toutes ces journées lumineuses.
Au programme, ballade à ski et pique-nique au Cap Tobin. Nous y découvrirons les polynies qui se sont largement étendues. Nous voyons un animal à longs poils blanc jaunâtre courir le long de la polynie, et Pascal me fait presser le pas pour se réfugier si nécessaire dans les premières cabanes. Après une observation plus attentive, l’ours s’avère être… un chien un peu fou, une sorte de rantanplan de la banquise. Nous soupçonnons le syndicat d’initiative d’avoir créé cette animation !
Il fait frisquet et humide et pour la première fois je ressens un « coup de barre ». Pascal, qui aura décroché brillamment son titre d’Accompagnateur de Moyenne Banquise, aura la patience de ralentir l’allure du retour !
Dernière soirée, dernier eskimo (ce qui nous donne des sensations d’anthropophages) dégusté sur la terrasse de notre guest house…
Et déjà l’envie de revenir est là. Rendez-vous à Thulé !

Quelques détails pratiques
Ce raid s’inscrit dans les projets développés par l’Association Diagonale Groenland, en particulier la traversée Sud-Nord prévue pour l’été 2006, qui sera dirigée par Pascal Hémon, président de Diagonale Groenland.
La logistique sur place a été assurée par Nannu Travel (Karina et Martin Munck) pour le transfert hélico depuis Constable Pynt, la guest-house, la location des bottes type Sorel, la pulka, le fusil, la tente, le retour en traîneau et la journée de chasse au phoque.
Le restant du matériel est le matériel personnel de Pascal : Iridium, balise Sarsat, réchaud et casserole MSR, pelle à neige, piolet, duvets fournis par Pyrénex pour la préparation de l’expédition 2006.
L’avitaillement a été fait à la petite supérette du village.
La carte que nous avons utilisée est claire et suffisante : carte « saga map » au 1/250 000 pour la terre de Liverpool et la terre de Jameson. La carte correspondante éditée par le Geodaetisk Institut, N°70 O.1 n’est plus disponible actuellement.
A titre indicatif, le budget total pour ce raid, y compris l’aérien, à l’exclusion d’une nuit supplémentaire et de la location de voiture à Reykjavik, s’élève à environ 2500 € par personne, en notant que nous disposions de l’essentiel du matériel.
 
Diagonale Groenland, association type loi 1901, déclarée à la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye le 23 juin 2003, parue au Journal Officiel le 26 juillet 2003, N°30 page 4000